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plus longtemps pour tourner cette épée contre moi-même ? »

Si, dans ce lieu, Roger s’afflige et se tourmente, et émeut de pitié les bêtes et les oiseaux de proie, seuls témoins de ses cris et des larmes qui baignent son sein, vous devez bien penser que Bradamante n’est pas moins malheureuse à Paris, où rien ne peut plus empêcher ou retarder son mariage avec Léon.

Mais plutôt que d’avoir un autre époux que Roger, elle est résolue à tenter l’impossible, à manquer à sa parole, à braver Charles, la cour, ses parents et ses amis. Et quand elle aura tout essayé, elle se donnera la mort par le poison ou par le fer, car elle aime mieux mourir que de vivre séparée de Roger.

« Ô mon Roger — disait-elle — où es-tu ? Es-tu donc allé si loin, que tu n’as pas eu nouvelle du ban publié par Charles ? Tout le monde le connaît-il donc, excepté toi ? Si tu l’avais connu, je sais bien qu’aucun autre ne serait accouru avant toi. Ah ! malheureuse, que dois-je croire, sinon ce qui serait pour moi le pire des malheurs ?

« Est-il possible, Roger, que toi seul n’aies pas appris ce que tout le monde a su ? Si tu l’as appris et si tu n’as pas volé vers moi, se peut-il que tu ne sois pas mort ou prisonnier ? Mais qui connaît la vérité ? Ce fils deConstantin t’aura sans doute retenu dans les fers ; le traître t’aura enlevé tout moyen de partir, dans la crainte que tu ne sois ici avant lui.

« J’ai imploré de Charles la faveur de n’appartenir qu’à celui qui serait plus fort que moi, dans