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me destinait, j’aurais du moins espéré que mon malheureux sort inspirerait quelque pitié à Bradamante. Mais quand elle saura que j’ai aimé Léon plus qu’elle, et que j’ai, de ma propre volonté, renoncé à elle pour la lui donner, elle aura raison de me haïr, mort ou vivant. »

Tout en exhalant ces plaintes et bien d’autres, entrecoupées de soupirs et de sanglots, il se trouve, au lever du soleil, au milieu d’un bois sombre, dans un endroit désert et inculte. Désespéré, voulant mourir et cacher sa mort le plus possible, ce lieu reculé lui parait propice à son dessein.

Il pénètre au plus épais du bois, là où l’obscurité est plus profonde et le taillis plus enchevêtré. Mais auparavant il délivre Frontin de la bride et lui rend la liberté. « Ô mon Frontin — lui dit-il — si je pouvais te récompenser selon tes mérites, tu n’aurais rien à envier à ce destrier que l’on voit courir dans le ciel parmi les étoiles.

« Cyllare et Arion, je le sais, ne furent pas meilleurs que toi, ni plus dignes de louange. Aucun destrier dont il est fait mention chez les Grecs et les Latins ne t’a surpassé. Si, en quelques circonstances, ils t’ont égalé, pas un d’eux ne peut se vanter d’avoir jamais joui de l’honneur que tu as eu.

« Tu as été cher à la plus gente, à la plus belle, à la plus vaillante dame qui fût jamais ; elle t’a nourri de sa main et t’a mis elle-même le frein et la selle. Tu étais cher à ma dame. Hélas ! pourquoi l’appeler ainsi, puisqu’elle n’est plus à moi ; puisque je l’ai donnée à un autre ? Ah ! qu’attends-je