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Le jour venu, on trouva la prison ouverte, le geôlier étranglé, et l’on constata la fuite de Roger. Chacun parlait de cet événement ; tous donnaient leur avis, mais pas un ne devina juste. On aurait pensé à tout le monde, hormis à Léon, qui avait, aux yeux du plus grand nombre, des motifs pour détruire Roger, et non pour lui venir en aide.

De tant de courtoisie Roger reste si confus, si rempli d’étonnement, et tellement revenu de la pensée qui l’avait poussé là à une si grande distance, que, comparant sa nouvelle pensée à la première, il trouve qu’elles ne se ressemblent aucunement l’une à l’autre. La première n’élait rien que haine, colère, venin ; la seconde est pleine de pitié et d’affection.

Il y pense souvent la nuit, il y pense souvent le jour ; il n’a d’autre souci, d’autre désir que de se libérer de l’immense obligation qu’il a contractée, par une courtoisie égale sinon plus grande. Il lui semble que, quand même il consacrerait à servir Léon sa vie tout entière, longue ou courte, quand même il s’exposerait à mille morts certaines, il ne pourrait encore assez faire pour s’acquitter.

Cependant la nouvelle du ban qu’avait fait publier le roi de France, et par lequel il ordonnait que quiconque prétendrait à Bradamante, aurait à lutter contre elle l’épée et la lance à la main, était parvenue en Grèce. Cette nouvelle fut si désagréable à Léon, qu’on le vit pâlir en l’apprenant. Il connaissait en effet sa force, et il