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en soit triste, ainsi que toute la France. Mais il ne peut lui refuser cette faveur, tant son désir lui paraît honorable. Dudon et Guidon veulent accompagner Renaud, mais celui-ci repousse l’offre de l’un et de l’autre. Il quitte Paris et s’en va seul, plein de soupirs et d’amoureux soucis.

Il a sans cesse à la mémoire, et cette pensée ne peut s’ôter de son esprit, qu’il a pu mille fois posséder Angélique, et qu’il a toujours obstinément, follement repoussé une si rare beauté. Mais le temps où il pouvait avoir un tel plaisir, et où il n’a pasvoulu, ce bon temps est perdu, et maintenant il consentirait à la posséder un seul jour, sauf à mourir après.

Il se demande sans cesse — et il ne peut songer à autre chose — comment il a pu se faire qu’un pauvre soldat ait soumis son cœur, rebelle aux mérites et à l’amour de tant d’illustres amants. C’est avec une telle pensée, qui lui ronge le cœur, que Renaud s’en va vers le Levant. Il suit la route qui mène droit au Rhin et à Bâle, jusqu’à ce qu’il ait atteint la grande forêt des Ardennes.

Le paladin avait fait plusieurs milles dans l’intérieur de la forêt aventureuse, loin de tout village et de tout castel, et il était arrivé dans un endroit sauvage et plein de dangers, lorsqu’il vit soudain le ciel se troubler, et le soleil disparaître derrière une masse de nuages. Au même moment s’élançait d’une caverne obscure un monstre étrange ayant la figure d’une femme.

Sa tête avait mille yeux sans paupières ; il ne