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« La dame ne se consola point pour cela, disant que ce terme était encore trop long, et que si, à son retour, il ne la trouvait point morte, ce serait grande merveille. La douleur que jour et nuit elle portait avec elle ne lui permettait pas de goûter à la moindre nourriture, ni de fermer les yeux ; c’était à un tel point que, pris de pitié, Joconde se repentit d’avoir promis à son frère.

« Elle portait au cou une chaîne d’or où pendait une petite croix enrichie de pierreries et contenant de saintes reliques recueillies en divers lieux par un pèlerin de Bohême. Son père l’avait rapportée chez lui en revenant malade de Jérusalem ; à sa mort, elle en avait hérité. Elle se l’ôta du cou, et la donna à son mari,

« En le priant de la porter au cou pour l’amour d’elle et pour que son souvenir ne le quittât jamais. Le cadeau fit plaisir au mari qui l’accepta, bien qu’il n’en eût pas besoin pour se rappeler, car ni le temps, ni l’absence, ni la bonne ou la mauvaise fortune n’étaient capables d’effacer un souvenir aussi vigoureux et aussi tenace, et qui devait durer jusqu’après la mort.

« La nuit qui précéda le jour du départ, il sembla que la dame fût prête à mourir dans les bras de son cher Joconde dont elle ne pouvait s’arracher. Elle ne dormit pas, et une heure avant le lever du jour le mari en vint au suprême adieu. Puis il monta à cheval et partit. Quant à sa femme, elle se remit au lit.

« Joconde n’avait pas encore fait deux milles,