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L’ŒUVRE DE GIORGIO BAFFO

« Tout le monde s’étant mis à jouer à l’exception de mon docteur, j’allai voir mes frères dans la chambre de ma grand’mère. François me fit voir des dessins d’architecture que je fis semblant de trouver passables ; Jean ne me fit rien voir, et je le jugeai très insignifiant. Les autres étaient encore très jeunes.

« À souper, le docteur, assis près de ma mère, fut fort gauche. Il n’aurait, probablement, pas prononcé un seul mot, si un Anglais, homme de lettres, ne lui avait adressé la parole en latin ; mais ne l’ayant pas compris, il lui répondit modestement qu’il ne comprenait pas l’anglais ce qui excita un grand éclat de rire. M. Baffo nous tira d’embarras en nous disant que les Anglais lisent et prononcent le latin comme ils lisent et prononcent leur première langue. À cela j’observai que les Anglais avaient tort autant que nous l’aurions, si nous prétendions lire et prononcer leur langue d’après les règles adoptées pour la langue latine.

L’Anglais admirant ma raison, écrivit aussitôt ce vieux distique et me le donna à lire :

Dicite, grammatici, cur mascula nomina cunnus,
Et cur femineum mentula nomen habet.

Après l’avoir lu à haute voix, je m’écriai : Pour le coup voilà du latin. — Nous le savons, me dit ma mère, mais il faut l’expliquer. — L’expliquer ne suffit pas répondis-je ; c’est une question à laquelle je veux répondre. Et après avoir pensé un moment, j’écrivis ce pentamètre :

Disce quod a domino nomina servus habet.

Ce fut mon premier exploit littéraire, et je puis dire que ce fut dans ce moment qu’on sema dans mon âme