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— « Mon idéal, se dit-elle ? Au fait, mon idéal, je n’y ai jamais songé. Comment est-il le « prince charmant » de mon imagination, comme dit ma tante de Beyrouth, cherchons un peu !

« Mon idéal est plutôt grand, car j’ai toujours éprouvé un peu de pitié pour les personnes de toute petite taille. Il est donc grand et bien fait. Il a de la moustache et il fume… C’est même un grand fumeur… Un homme qui ne fume pas n’est qu’une sotte petite fille et ressemble singulièrement à l’insupportable « perfection » tant vantée par mon père.

« Mon idéal a de beaux yeux bleu-vert, terribles ces yeux, comme la mer en colère et calmes comme les flots en méditation… Il a la physionomie intéressante et le sourire doux. Oui, son sourire est d’autant plus doux qu’il a la bouche fort belle, bien que les dents ne soient pas parfaites. Il parle fort bien quand il veut, mais sait aussi se taire et pendant que les autres cherchent à briller et rivalisent en traits saillants et mots d’esprit, il lui plaît de dire des paroles insignifiantes et détachées ou de garder un silence orgueilleux et lointain…

« Et, son front donc ! et sa tête expressive ! Et sa chevelure, d’un blond très sombre ou d’un châtain très clair qui retombe ondulée sur les tempes…

« Comme il est sérieux et comme il est gamin ! Il est à la fois très dur et très tendre ; il m’aime beaucoup plus qu’il ne le montre ; il me gronde pour mes enfantillages et pour mes paradoxes ; il voudrait faire de moi une gentille enfant bien sage, bien raisonnable, et pourtant il adore mes caprices et mes bouderies… Et parfois, après m’avoir grondée et m’avoir fait pleurer, il redevient très indulgent et très doux, et ses larges prunelles, méditatives comme les grandes eaux de l’Océan, semblent se recueillir encore plus pour implorer et demander pardon… oh ! qu’il est beau, mon Idéal ! Je ne l’ai pas encore rencontré, mais il est l’âme de tout, de tout !… »

Ah ! vois-tu, jeune fille, le soir est trop beau et trop doux dans les montagnes du Liban, et l’immense héritage des siècles qui s’éparpille en toi te rend trop triste et trop rêveuse… Ô Lamia, veille sur ton cœur !
...............

L’aurore blanchissait les contours de l’horizon et les nuages parsemés ça et là au firmament, se coloraient délicatement de rose, de bleu, de mauve mélangés d’or. Lamia n’avait que très peu dormi, car elle songeait au bel étranger déjà plusieurs fois rencontré chez sa tante de Beyrouth.

Était-ce l’Idéal ?

La jeune Libanaise rejeta au loin ses couvertures et d’un geste charmant releva les boucles récalcitrantes de ses cheveux noirs. Puis, sautant au bas de son lit, elle vint s’accouder à la fenêtre. Car Lamia, la petite enfant du village élevée chez les bonnes sœurs à Beyrouth, avait comme