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Dès qu’il m’aperçut, Lepage leva les yeux :

— Quoi de neuf ? lui dis-je.

— Pas grand’chose. La querelle du Petit Sou avec la Petite République, ou la polémique, comme vous voudrez… J’étais en train de lire un article du Socialiste où Jaurès se trouve encore pris à parti.

— Assez, lui dis-je. Il y a d’autres questions plus sérieuses que ces querelles de boutiques dont se réjouit la bourgeoisie et les tenanciers d’échoppes de toute sorte. C’est de la Grève Générale dont je voudrais vous entretenir.

— La Grève Générale ?

— Certainement, n’est-ce pas dans trois jours, le 1er mai ? ce premier mai qui, entre parenthèses ne la verra pas plus naître cette année que les précédentes. Ne vient-elle pas d’être discutée au Congrès de Lens ? Les travailleurs ont là une arme assez terrible pour qu’ils ne la dédaignent pas…

— Vous avez raison, interrompit Lepage, tandis que les yeux noyés dans l’espace, il réfléchissait, vous avez raison, car de son emploi dépendrait, tout au moins pendant de longues années, l’émancipation de notre classe. Si elle réussissait, qui pourrait prévoir ses résultats ? Si elle échouait, la défaite serait peut-être irréparable pour le prolétariat ruiné, saigné à blanc, brisé par les privations et la souffrance ; en admettant que, poussé à bout, il n’eût pas fourni aux Lebels qui, eux, ne chôment pas un facile prétexte pour s’exercer sur terre française.