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on s’impose une tyrannie, mais c’est un honneur d’être esclave d’une grande tâche. Tandis que Stirner craignait toute domination extérieure ou extérieure, Nietzsche aime le destin qui le mène : « Ô vocation de mon âme que j’appelle Destin ! Ô En-Moi ! Au-dessus de Moi ! (In-mir ! Ueber-mir !) Conserve et réserve Moi pour Une grande destinée[1]. » De même que chaque individu doit obéir à sa vocation, de même l’humanité doit se proposer une fin : le Surhomme est la fin que Zarathustra propose à l’humanité. Stirner, sans doute, avait dit aussi que le Moi était supérieur à l’humanité ; mais il n’entendait pas par là poser un idéal ou fixer un but ; il affirmait simplement que le sujet (Moi) est supérieur à son prédicat (l’humanité) ; de même que Schiller n’est pas seulement un Souabe, je ne suis pas seulement un homme ; il ne suffit pas de dire que ma main est une main humaine ; on la distinguerait sans doute en la qualifiant ainsi de la patte des autres animaux ; mais on ne tiendrait pas compte de ma personnalité ; on me confondrait avec ceux qu’on appelle improprement mes semblables. Stirner veut, en déclarant que le Moi est surhumain, l’affranchir de tout idéal humain ; tandis que Nietzsche, en prêchant le Surhomme, veut précisément révéler à l’humanité l’idéal qui lui fait défaut, depuis la mort de Dieu surtout :

  1. Nietzsche, Werke, VI, 312.