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accordé une existence objective, Nietzsche étudie les origines historiques du droit et arrive à cette conclusion que le droit n'est pas l'ombre que le Moi redoute comme un spectre, mais le fruit d'un contrat. La justice doit son origine à un équilibre de forces : c'est ce que Thucydide a bien compris dans le terrible dialogue des envoyés d'Athènes et de Mélos. Quand les forces sont sensiblement égales, et qu'il est impossible de prévoir avec certitude l'issue d'une lutte ruineuse pour les deux adversaires, l'idée d'un accord vient à l'esprit : l'échange est le premier caractère de la justice : on le retrouve dans la vengeance, la revanche ou la reconnaissance[1]. La justice est, au début, l'expression d'une égalité entre deux égoïsmes ; mais on a oublié peu à peu cette humble orgine, on a habitué les enfants à admirer la justice comme le titre de noblesse de l'espèce humaine : et on a fini par voir dans les actes justes une manifestation de désintéressement absolu. À vrai dire, les droits doivent leur naissance à un contrat que nous respectons par tradition : la paresse et l'oubli contribuent à les fortifier[2]. Pourtant s'il se produit des modifications importantes dans la situation des puissances liées par contrat, il est impossible que le droit demeure intact : c'est ce que montre clairement l'histoire du droit des gens. L'homme juste a donc constamment besoin d'une balance pour

  1. Nietzsche, Werke, II, 93.
  2. Nietzsche, Werke, III, 224.