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Je ne reconnais pas de droit absolu, de droit en soi, de droit éternel ; je n'admets pas que l'état ou la nature ou l'humanité me donnent des droits ; je suis la seule source de mon droit. Le droit qui est ma créature, a voulu me dominer ; je le reprends en moi[1], ou, pour parler plus franchement, je nie tout droit ; j'affirme ma puissance. Le droit n'est qu'une illusion, un titre imaginaire que je dois à la grâce d'un spectre (ein Sparren erteilt von einem Spuk) : ma puissance est réelle : car c'est moi-même.

Stirner, pour ruiner la conception religieuse ou mystique d'un droit sacré ou éternel, va jusqu'à nier l'idée même du droit, et ne laisse debout que la puissance du Moi qui lui paraît seule réelle.

Nietzsche n'admet pas plus que Stirner l'existence d'un droit intangible, devant qui la force victorieuse serait obligée de s'incliner. Il ne connaît pas de droits naturels : le droit n'est que la reconnaissance des forces réelles ; il varie quand les forces augmentent ou diminuent et se dépense avec elles ; il n'est donc pas antérieur ou supérieur à la puissance, mais au contraire s'y ajoute comme une consécration et une garantie. Mais tandis que Stirner conclut de cette conception que le droit n'est qu'une aliénation du Moi, c'est-à-dire une concession analogue au sacrifice religieux, et veut que le Moi reprenne en lui sa créature devenue dangereuse depuis qu'on lui a

  1. Stirner, Der Einsige, p. 240.