Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

morale était dès maintenant abrogée : de même que le Christ n’avait pas à soutenir les pharisiens qui observaient consciencieusement l’Ancienne loi contre les publicains ; de même l’égoïste refuse de s’associer aux récriminations des honnêtes gens contre ceux qui ne se conforment pas à la loi morale. Comme Stirner, Nietzsche considère que la morale est liée au dogme : si les fondements sont ébranlés, l’édifice tombe. Il est impossible d’obéir à des ordres catégoriques, si on ne croit pas à l’autorité de celui qui les donne. Les morales anciennes naissent et meurent avec les dieux : la morale chrétienne suivra dans la tombe le Dieu des chrétiens. Nietzsche estime donc qu’il y a aujourd’hui un interrègne moral. Mais tandis que Stirner profite de cet interrègne pour affirmer la liberté absolue du Moi, Nietzsche cherche avec passion une nouvelle règle de l’activité humaine. Dès le début de sa deuxième période, il se console en songeant à l’avenir. Il n’a pas renoncé sans amertume à la responsabilité et au devoir qui lui paraissaient le titre de noblesse de l’humanité ; il n’a pas brisé sans tristesse sa table des valeurs ; tout lui a paru d’abord s’en aller à la dérive, mais il espère que le courant qui a entraîné ce qu’il croyait éternel a un but[1]. Dans la doctrine de Stirner, au contraire, le mouvement ne peut pas avoir de but, puisque le Moi créateur est à chaque instant supérieur à sa créa-

  1. Nietzsche, Werke, II, 111.