Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voit aussi dans cette idée du péché une folie ou un mauvais rêve. De même que Stirner compare ceux qui s’imaginent être des pécheurs aux pauvres insensés qui se croient Dieu le père ou l’homme de la lune, de même Nietzche met sur le même rang le chrétien qui se rabaisse trop pour avoir mis son idéal trop haut et le Don Quichotte égaré par les romans de chevalerie ; l’humanité lui paraît un enfant qui a fait un mauvais rêve et qui n’a qu’à ouvrir les yeux pour retrouver son innocence première. Mais tandis que Stirner croit trouver la vérité en opposant à la doctrine chrétienne une doctrine diamétralement opposée et affirme que nous sommes tous parfaits, Nietzsche se borne à dire que nous sommes irresponsables et innocents. Or il n’y a pas là qu’une simple différence d’expression, car la perfection exclut toute idée de progrès moral, tandis que l’irresponsabilité et l’innocence permettent au contraire toutes les espérances. Pour Stirner, chaque individu est parfait comme Dieu : « on dit de Dieu qu’il est parfait et n’a pas le devoir d’aspirer à la perfection. Cela aussi n’est vrai que de Moi[1] ». Pour Nietzsche, comme pour Socrate et Platon, le progrès de la morale est lié au progrès de la raison[2].

Stirner fonde d’autre part son immoralisme sur son idée de liberté. Le bien n’a pas plus de valeur que le mal, car la soumission à la vertu est

  1. Stirner, Der Einzige, p. 429.
  2. Nietzsche, Werke, II, 104.