Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

zèle de l’abeille ; puis parce que l’homme n’a pas plus à se soucier des autres animaux que ceux-ci n’ont à se préoccuper de lui. Ce que Stirner veut dire, c’est que tout dressage est contre nature ; ce n’est pas une raison parce qu’un chien dressé est d’un commerce plus agréable pour croire qu’il a plus de valeur qu’un autre ou que son intérêt est d’être dressé[1].

Nietzsche a, comme Stirner, objecté aux définitions de la morale normative que le Moi est un être singulier. Il proteste par exemple[2] contre la formule d’Ariston de Chios : « la vertu est la santé de l’âme ». Pour que cette formule fût pratique, il faudrait au moins la rectifier et dire : « Ta vertu est la santé de ton âme ». Car il n’y a pas de santé en soi, et toutes les tentatives faites pour définir cette abstraction ont misérablement échoué. Même la santé de ton corps dépend de ta nature psychologique, de tes instincts et de tes erreurs, de ton idéal et de tes rêves ; il y a donc autant de santés physiques que de corps différents ; plus on permettra à l’individu incomparable de relever la tête, plus on cessera de croire au dogme de l’égalité des hommes, et plus nos médecins devront renoncer à l’idée d’une santé normale, d’une diète normale, d’un cours normal des maladies. Nietzsche savait par expérience combien ces idées normatives sur les maladies étaient dangereuses pour les ma-

  1. Stirner, Der Einsige, p. 388.
  2. Nietzsche, Fröhliche Wissenschaft, V, 158.