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préfère tel fragment de lui-même, pensée, désir ou œuvre, à tel autre, qu’il se divise par conséquent lui-même et sacrifie une partie à l’autre ? N’est-ce pas au fond une conduite analogue à celle que tient l’entêté qui dit : « Je préfère être fusillé plutôt que de m’écarter d’un pas devant cet individu » ? L’inclination (désir, instinct, aspiration), existe dans tous les cas cités ; céder à cette inclination, en acceptant toutes les conséquences, n’est pas en tout cas faire preuve de désintéressement[1]. Nietzche dit encore à propos du désir de rédemption chez les chrétiens : « Un être capable d’actions absolument désintéressées est un être plus fabuleux que le phénix ; il ne saurait même être distinctement conçu, quand ce ne serait que pour cette raison que l’idée « d’action désintéressée » ne résiste pas à une analyse rigoureuse. Jamais un homme n’a agi exclusivement pour autrui et sans motif personnel ; comment pourrait-il même faire quelque chose qui n’aurait aucun rapport à lui, sans obéir par conséquent à une impulsion intérieure (qui supposerait un besoin personnel) ; comment l’ego pourrait-il agir sans ego ? »[2] L’argumentation ressemble bien à celle de Stirner ; mais l’intention est différente. Stirner veut prêcher l’égoïsme conscient ; il s’efforce donc de montrer que tout acte est inconsciemment égoïste. Nietzsche, dans sa deuxième période, cherche surtout à réfuter la morale et la

  1. Nietzsche, Menschliches Allzumenschliches, II, 78-79.
  2. Nietzsche, Menschliches Allzumenschliches, II, 137.