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tout une victoire sur l’élément subjectif, une rédemption du moi qui impose silence à toute volonté et à tout désir individuel. Nietzsche est persuadé que la contemplation désintéressée est la condition même de l’art : aussi considère-t-il comme un problème l’existence de cet art lyrique qui permet au poète de parler sans cesse de son moi et de chanter ses passions ou ses appétits. Il n’admet pas l’explication que donne de cette difficulté son maître, Schopenhauer, dans le Monde comme volonté et comme représentation, précisément parce que Schopenhauer fait des concessions au sujet égoïste, qui ne doit être considéré, selon l’auteur de la Naissance de la Tragédie, que comme l’adversaire de l’art. Nietzsche essaie de rectifier sur ce point la théorie de son maître, en s’inspirant de sa métaphysique de la musique : il suppose donc que le génie lyrique s’oublie lui-même dans une ivresse dionysiaque, où il communie avec l’essence une des choses[1]. Ainsi, tandis que Stirner tend à assurer le triomphe du sujet sur l’objet, Nietzsche voudrait absorber dans l’objet le sujet borné. Stirner est un esprit critique ; Nietzsche est un artiste.


d) Histoire de la civilisation


Humaniste et artiste, grand admirateur de la Grèce, Nietzsche ne saurait avoir la même philoso-

  1. Nietzsche, Werke, I, 39-45.