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objet ; l’art crée et détruit les objets que nous adorons successivement ; la philosophie se distingue de l’art comme de la religion en ce qu’elle ruine tout objet. La liberté est son élément. Pour le philosophe, Dieu est aussi indifférent qu’une pierre[1].

Tandis que Stirner, disciple de Hegel, met l’art qui crée l’objet au-dessous de la philosophie qui est le triomphe du sujet, Nietzsche, disciple de Schopenhauer et ami de Richard Wagner, considère que l’art est l’activité proprement métaphysique de l’homme. Il estime que la seule théodicée possible est la doctrine qui justifie le monde en le considérant comme un phénomène esthétique. Dans la critique qu’il fit en 1886 de sa première œuvre, il déclare que la Naissance de la Tragédie n’admet qu’une interprétation des choses, l’interprétation esthétique : elle suppose un Dieu artiste qui cherche dans la construction comme dans la destruction, dans le bien comme dans le mal, une consolation et une rédemption. Nietzsche se garde bien de reprocher à l’art, comme l’a fait Stirner, son souci de l’objet : il estime au contraire que c’est le caractère objectif qui donne à l’art sa supériorité. L’esthétique moderne a eu tort de croire que l’antiquité ait voulu, en opposant Archiloque et Homère, mettre sur le même pied l’artiste subjectif et l’artiste objectif. Un artiste subjectif n’est en effet qu’un méchant artiste ; l’art est avant

  1. Stirner, Kleine Schriften, p. 45.