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brasser le présent. La victoire est assurée au réalisme, s’il sait emprunter à son adversaire l’humanisme, le sens de la beauté et de l’adresse, qui soumet toute matière à la forme. Mais, tout en reconnaissant la supériorité du réalisme, Stirner ne se rallie pas sans réserve à cette doctrine pédagogique. Il n’admet pas le dédain que les réalistes affectent pour la philosophie. Les philosophes, en effet, ont le mieux réalisé l’idéal de leur temps, la liberté de pensée et de conscience ; ils sont les « Raphaëls de la période de la pensée », et ils ont préparé l’ère nouvelle, celle où sera assurée la liberté véritable, la liberté de la volonté. Bientôt ce ne sera plus la science qui sera le but, mais la volonté née du savoir. L’éducation doit former des hommes réellement libres, qui sauront découvrir leur personnalité, la libérer de tout joug étranger et de toute autorité pour en révéler la naïveté retrouvée. Il faut s’élever au-dessus du conflit de l’humanisme et du réalisme, du culte de la forme et du culte de la matière, du dandisme et de l’industrialisme ; il faut renoncer au double dressage qui fait sortir des savants de la ménagerie des humanistes et des citoyens utiles de la ménagerie des réalistes[1]. Il ne s’agit plus d’exiger la soumission, mais de fortifier l’esprit d’opposition ; le plus haut devoir de l’homme est de s’affirmer soi-même. Au lieu de former des hommes qui agissent et pensent d’après des

  1. Stirner, Kleine Schriften, pp. 23.