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l’idée et le réel ; on a été conduit au nominalisme. L’originalité de Stirner a consisté à tirer argument de ce nominalisme pour affranchir l’individu de tout lien.

Nietzsche, au contraire, tient d’abord à l’originalité artistique et à la sincérité morale. C’est aux bourgeois allemands, aux philistins et aux pharisiens qu’il s’adresse, quand il déclare que tout individu est un miracle unique. Chacun le sait bien, dit-il, mais le cache ; pourquoi ? Par peur du voisin qui exige des autres la convention sous laquelle il se dissimule lui-même[1]. Mais qu’est-ce qui oblige à craindre le voisin, à penser et à agir comme le troupeau, au lieu de se réjouir de soi ? Pudeur peut-être chez quelques-uns, rares d’ailleurs ; paresse chez la plupart. Les artistes seuls détestent ces manières empruntées ; ils osent nous montrer comment l’homme est lui-même dans chaque mouvement de ses muscles, bien plus, comment cette originalité, qui se manifeste jusque dans les détails, lui conserve cette beauté neuve propre à toute œuvre de la nature. C’est la paresse qui donne aux hommes ordinaires ce caractère de banalité qu’ont toutes les marchandises fabriquées.

Le philosophe, d’autre part, rappelle aux hommes qu’ils sont personnellement responsables de leur existence singulière : seul dans sa barque sur la mer

  1. Nietzsche, Werke, I, 387.