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finissable parce que les prédicats ne sauraient épuiser le contenu du sujet : les noms communs n’ont pas la puissance d’étreindre l’originalité. Le terme même d’unique est déjà une expression imparfaite : on ne prétend pas plus te désigner par ce mot qu’on n’entend te qualifier en te donnant un nom propre, Louis ou Max[1].

De son côté, Nietzsche déclare, dans son « Intempestive » sur Schopenhauer considéré comme éducateur, que chaque individu n’est qu’une fois au monde : jamais le hasard ne ramènera cette combinaison singulière d’éléments bariolés qui constituent ton Moi. Il a fallu un temps infini pour te faire naître ; il y a dans le monde un chemin unique que personne ne peut suivre, si ce n’est toi : chaque homme est un miracle qui ne se produit qu’une fois[2].

Il y a cependant des différences profondes d’une part entre les sentiments qui ont amené les deux philosophes à insister sur cette idée, et d’autre part entre les conclusions qu’ils en tirent. Stirner tient avant tout à l’indépendance : toute définition lui paraît une limite et un lien. Il a craint qu’on ne prît prétexte des ressemblances entre les individus pour les grouper dans la même servitude et qu’on n’érigeât les prédicats en devoirs impérieux. Isolé sur une pointe inaccessible, le sujet unique est à l’abri de toute contrainte sociale, morale ou religieuse.

  1. Stirner, Kleine Schriften, pp. 114-115.
  2. Nietzsche, Werke, I, 386-388.