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matérialisme. Lange demande en effet une partie positive « pour sortir du Moi », et Stirner ne veut pas qu’on en sorte. Lange cherche, en soutenant une théorie de la connaissance, à plaider la cause de la spéculation métaphysique ; Stirner voit dans toute métaphysique une sorte de folie. Lange essaie de sauver l’essence de la religion en insistant sur la vertu éducative de la foi ; Stirner considère l’éducation désintéressée comme une duperie. Comme l’a dit Nolen dans son introduction à la traduction française de l'Histoire du Matérialisme : « Nul n’a mieux compris que Lange qu’affaiblir le sens de l’idéal, c’est accroître celui de l’égoïsme » ; or, c’est précisément ce que Stirner avait compris, lui aussi ; mais, tandis que Lange veut fortifier le sens de l’idéal pour affaiblir celui de l’égoïsme, Stirner veut, au contraire, pour accroître le sens de l’égoïsme, affaiblir le sens de l’idéal.

Nietzsche a donc vu sans doute, à travers l’analyse de Lange, un Stirner bien différent de ce qu’a été en réalité l’auteur de l'Unique et sa propriété ; il a considéré cette œuvre comme une sorte d’introduction à la philosophie de Schopenhauer ; et c’est ce qui explique ce fait, paradoxal en apparence, que Nietzsche a parlé de Stirner dans sa première période, quand il était le disciple fervent de Schopenhauer ; tandis qu’il n’en a plus parlé dans sa deuxième période, la période critique, où il était en un sens plus voisin des idées de l’Unique.