Page:Lévy-Bruhl - Revue philosophique de la France et de l’étranger, 92.djvu/10

Cette page n’a pas encore été corrigée

6 REVUE PHILOSOPHIQUE Ce sont bien là, n’est-ce pas, des impressions que vous sentez, que vous savez, sans nul doute, être des impressions esthétiques ? Parmi ces impressions, les unes émanent de la nature, les autres de l’art. Mais quelle que soit leur origine, elles ont toutes en commun des traits essentiels, puisque vous les désignez d’un même nom. Quels sont ces traits ? II. Les cinq « attitudes ». Avant tout, le domaine esthétique constitue une attitude particulière de l’homme. L’homme, placé en face de la nature, d’êtres inférieurs ou semblables à lui, et de lui-même, peut les envisager à plusieurs points de vue, peut prendre et a pris vis-à-vis d’eux des attitudes multiples et profondément différentes. Ces attitudes, il me semble qu’il serait possible de les réduire à cinq. Tout d’abord, l’attitude que je voudrais appeler pratique-sensible. L’homme qui s’éveille à la vie ne se préoccupe tout d’abord que de faire servir tout ce qui l’entoure à la satisfaction de ses besoins organiques, de ses appétits, de son aspiration au bien-être, de sa soif de bonheur. Dans cette attitude qui, bien que moins apparente chez l’adulte et le civilisé, n’en demeure pas moins la tendance la plus profonde de son être, il entre en contact direct avec les choses, il s’en empare réellement, se mêle à elles, les consomme, les détruit. Toute sa vie psychique joue ; sensations, perceptions, représentations, jugements et raisonnements plus ou moins conscients, tendances, impulsions, sentiments de plaisir et de peine, d’excitation et d’apaisement, de tension et de détente toutes ces manifestations du Moi, l’homme qui ne vise qu’à jouir les expérimente. Mais ce sont les sentiments et les impulsions qui l’emportent la connaissance reste sous la dépendance de la sensibilité affective et c’est de cette sensibilité qu’elle semble émaner. En tout cas, au premier plan de la conscience demeurent l’impulsion vers la jouissance et le sentiment de cette jouissance, la tendance vers l’agréable et l’utile. En second lieu, l’attitude intellectuelle, l’attitude de l’homme qui connaît. Connaître, c’est se rendre maître de l’univers par les différents moyens sens, entendement, raison, que la nature a mis à notre disposition, c’est les soumettre aux modes, aux formes,