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« j’oins », tandis que le gotique a encore salbo, dans le même sens.

En slave, les développements parallèles de ce genre sont nombreux, parce que, la langue ayant conservé en général un type grammatical archaïque, il n’y a pas eu de changements généraux de structure qui entraînent des modes d’expression spéciaux à tel ou tel idiome. La 1re  personne du présent était presque partout en -o nasal en slave commun, — cet o nasal résultant déjà d’une altération de l’ancien -o long final faite pour mieux marquer la forme — et l’ancien -mi n’était conservé que dans cinq ou six verbes slaves. Mais, l’un de ces verbes, le verbe signifiant « avoir », était très employé, et grâce à certaines circonstances dans l’histoire desquelles il est inutile d’entrer ici, l’ancienne finale -mi, réduite à -m, a été introduite d’abord dans les verbes en -a- où elle apparaît dès le moyen âge dans tous les dialectes slaves autres que le russe, puis, dans d’autres types verbaux, dans quelques dialectes seulement ; on suit dans la succession historique des textes le développement du fait, notamment par le tchèque et par le serbe, qui sont les langues où l’extension de -m a été la plus grande. Les langues slaves présentent ainsi un grand nombre d’innovations communes à plusieurs dialectes, parfois presque à tous les dialectes, et qui sont exactement les mêmes dans ces divers domaines ; quelques-unes de ces innovations, comme celle qui porte sur les formes employées avec les noms de nombre, sont inattendues au plus haut point, et pourtant elles se sont réalisées indépendamment dans plusieurs langues slaves longtemps après que ces langues avaient cessé de former une unité, et sans qu’il y ait eu influence de l’une de ces langues sur les autres.

On peut illustrer le principe par autant de faits particuliers qu’on le voudra. Tous ces faits se ramènent à une même formule :

Quand une langue se différencie en parlers distincts, celles des innovations réalisées dans chaque parler qui ne tiennent pas à des conditions propres à ce parler sont ou identiques ou du moins orientées en une même direction.

De ce principe procède la régularité du développement linguistique, qu’on constate en fait.