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Hellénisme et christianisme
aux premiers siècles de notre ère[1]




I. — Considérations générales.


Le christianisme ne s’oppose pas à la philosophie grecque comme une doctrine à une autre doctrine. La forme naturelle et spontanée du christianisme n’est pas l’enseignement didactique et par écrit. Dans les communautés chrétiennes de l’âge apostolique, composées d’artisans et de petites gens, dominent les préoccupations de fraternité et d’assistance mutuelle dans l’attente d’une proche consommation des choses. Rien que des écrits de circonstances, épîtres, récits de l’histoire de Jésus, actes des apôtres, pour affermir et propager la foi dans le royaume des cieux ; nul exposé doctrinal cohérent et raisonné.

La philosophie grecque est arrivée, vers l’époque de notre ère, à l’image d’un univers tout pénétré de raison, dénué de mystère, dont le schéma est sans cesse répété par les écrits philosophiques comme sous des formes plus populaires (le traité Sur le monde ; les Questions naturelles de Sénèque, etc.) évanoui, dans un pareil univers, le problème de la destinée future, soit par l’idée épicurienne de la « mort immortelle » qui ne concerne en rien les vivants, soit par l’idée stoïcienne que la mort doit être acceptée de bon gré (et au besoin recherchée) comme tous les événements que tisse l’universel destin ; évanouis les mythes des dieux ramenés soit à la proportion d’un récit historique par Évhémère qui veut y retrouver l’histoire de rois défunts, soit à la proportion d’un symbolisme physique par les Stoïciens. Toute l’attitude pratique du philosophe est commandée par ce rationalisme ; dans ses consolations des deuils, dans ses

  1. Extrait de l’Histoire de la Philosophie de M. É. Bréhier, en cours de publication.