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même son sub specie aeternitatis. Tous les philosophes, avant et après lui, même ceux qui voulaient, comme Husserl, que la philosophie fût une science rigoureuse, cherchaient aide et appui auprès de la sagesse. Or celle-ci, de tout temps et chez tous les philosophes, se réduisait à ce que Spinoza désigne par les mots sub specie aeternitatis. Ce n’est pas par hasard que Spinoza a intitulé son principal ouvrage l’Éthique. Ce titre aurait convenu à tous ses écrits. Le véritable objet de cette formule sub specie aeternitatis est d’établir un pont entre vera philosophia et philosophia optima. Pour Spinoza, cognitio intuitiva vel tertium genus cognitionis n’est autre chose qu’un intelligere complet et achevé. Or intelligere ne signifie nullement « comprendre », mais élaborer en soi une telle attitude à l’égard de l’univers et de la vie, qui permette d’acquérir « acquiescentia animi » ou ce « summum bonum», qui fut le but des aspirations de tous les philosophes.

Comment donc Spinoza obtient-il son summum bonum ? Autrement dit par quel moyen vera philosophia se transforme-t-elle en optima ? Ce qu’on appelle verum ne peut être modifié selon notre volonté. Spinoza en est absolument certain : c’est une vérité nécessaire à laquelle la raison nous contraint. On ne peut faire que la somme des angles d’un triangle soit égale à trois droits, que les malheurs fondent exclusivement sur les impies, et que seuls les justes réussissent dans leurs entreprises, que les choses et les êtres auxquels nous nous attachons, demeurent impérissables, etc. Impossible de venir en aide au malheureux Job ; impossible aussi de faire en sorte que le cri d’agonie du Logos-Messie ne se perde pas dans les espaces infinis. Ce sont des vérités évidentes et par conséquent insurmontables. Ainsi nous dit la raison qui n’admet nulle autre autorité à côté de soi. Mais c’est la sagesse alors qui vient à notre secours ; elle nous dit Mens ducente Ratione sub eadem specie aeternitatis seu necessitatis concipit eademque certitudine afficitur (Éth. iv, LXXII, Dem.) et qu’il est absurde de tenter l’impossible. La lutte contre les vérités établies par la raison ne peut qu’être stérile. Et puisque cette lutte est impossible, il faut se soumettre. Il faut comprendre que tout être particulier, que ce soit Job ou le Logos-Messie, est condamné d’avance en vertu d’une loi éternelle inéluctable, à souffrir et à disparaître. Par conséquent, l’homme doit renoncer à tout ce qui a une existence individuelle, et avant tout à lui-même, pour orienter sa pensée vers ce qui n’a ni