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cachées ou évidentes du relativisme. Pour parler le langage de Spinoza, la philosophie prétend être « vraie » et non pas « meilleure ». Or, entre ces deux il n’existe aucun rapport interne. Le Job de la Bible dit si l’on déposait ma peine et mes souffrances sur une balance, elles pèseraient plus lourd que les sables de la mer. Il s’imagine qu’il existe une balance capable de peser les sables de la mer et les souffrances humaines et qu’il y a des cas où celles-ci seront plus lourdes et l’emporteront sur les sables de la mer. Mais Husserl, lui, se refusera certainement à discuter les paroles de Job : elles sont absurdes (widersinnig). Il n’existe pas de balance où ce que l’homme éprouve, ses peines et ses douleurs, se trouve être plus lourd que les corps physiques. Ce que nous considérons comme optimum, comme important et significatif, n’a aucune commune mesure avec ce qui est verum. Quel que soit l’optimum humain que nous jetions sur l’un des plateaux de la balance, il suffira d’une poignée de sable sur l’autre plateau pour que celui-ci l’emporte. C’est là le principe fondamental et absolument évident de toute philosophie qui prétend être une science rigoureuse. Et si vous demandez au philosophe comment il sait cela, il vous répondra avec Spinoza Eodem modo ac tu scis, tres angulos trianguli aequales esse duobus rectis. Et si Job continue à clamer ses souffrances, il lui déclarera d’un ton péremptoire non ridere, non lugere, neque detestari. Et il adressera ces paroles non seulement à Job, mais aussi à celui que Hering appelle Logos-Messie. En réponse à son cri : « Mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? » le philosophe lui dirait : « Intellectus et voluntate, quae Dei essentiam constituerent, a nostro intellectu et voluntate toto coelo differre deberent… non aliter scilicet, quam inter se conveniunt canis, signum coeleste, ef canis animal latrans. »

Ces réponses sont parfaitement définies. Job et Logos-Messie sont remis à leur place ; ils doivent s’incliner devant la vérité et se taire. Et s’ils continuent à se lamenter, le philosophe étudiera leurs cris et leurs lamentations avec autant de calme et d’indifférence qu’il en apportait dans l’étude des cercles, des perpendiculaires, des angles…

C’est ainsi, en somme, que les choses devraient se passer ; mais elles ne se passent jamais ainsi, ni chez Spinoza qui assurait qu’il considérait sa philosophie comme la vraie, ni chez les autres grands représentants de la pensée humaine. Spinoza n’a pas inventé lui-