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de Husserl qui corrobore ma thèse : « L’évidence n’est nullement une sorte d’indicateur pour la conscience, qui, telle une voix mystique venant d’un autre monde, nous dit : voici la vérité ! Comme si une telle voix pouvait agir sur nous autres, libres esprits, comme si ne nous ne lui aurions pas réclamé la preuve de ses droits. » Telle est la réponse que fait Husserl à toute tentative de notre part pour intervenir dans les jugements de la raison. Et si la tradition, que ce soit celle de l’Église ou une autre, si l’expérience individuelle ou ce qu’on nomme la révélation, se permettent d’élever leur voix, Husserl n’exigera-t-il pas qu’elles présentent leurs titres justificatifs, ce qu’il appelle « Rechtstitel » et que les juristes romains nommaient justus titulus ? N’est-il pas clair que devant le tribunal de la raison, la cause de la révélation est irrémédiablement perdue ? Il est moins clair, peut-être, mais tout aussi indubitable que le but de Husserl, de même que celui de Spinoza, consiste précisément à arracher de la conscience humaine jusqu’au dernier vestige de cette croyance si profondément enracinée en nous, qu’il peut y avoir d’autres sources de connaissance en dehors de la raison. C’est là pour Husserl, la condition nécessaire de la liberté d’investigation (« Nous autres, libres esprits »).

Cette conviction n’est certes pas neuve. Elle n’appartient pas spécialement à Husserl, ni même à Spinoza ; elle existe depuis qu’existe la philosophie, car celle-ci voulut de tout temps être une philosophie rationnelle, et de tout temps la philosophie rationnelle se considéra comme libre. La révélation doit se justifier devant la raison, autrement personne ne voudrait en tenir compte. Dieu même est obligé de s’adresser à la raison s’il veut obtenir le prédicat de l’existence. La raison consentira peut-être à le lui accorder ; il est plus probable cependant qu’elle le lui refusera.


III


Si l’on admet que l’essentiel en philosophie est de poser correctement le problème, et il est peu probable qu’on le conteste, alors il apparaît que l’immense mérite de Husserl consiste en ce qu’il a eu l’audace d’opposer la philosophie à la sagesse. La philosophie doit et peut être une science rigoureuse ; or la science rigoureuse rejette la sagesse tout aussi résolument que les différentes formes,