Page:Lévy-Bruhl - Revue philosophique de la France et de l’étranger, 103.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

égale à deux droits, répond même à toutes les questions qui peuvent surgir dans l’âme humaine. Mais suffit-il d’affirmer en ce cas ? Non, évidemment, et cela, bien qu’on ne puisse commenter la lettre à Burgh en ce sens que d’après Spinoza, les méthodes d’investigation des mathématiques sont les seules exactes et applicables en philosophie. Lorsqu’il dit que joies et douleurs sont réparties indifféremment sur terre entre les impies et les hommes pieux ou que les biens que poursuit la foule – divitiae, honores, libidines sont inconstants et mensongers, se rend compte naturellement que pour établir ces affirmations, il n’a nul besoin d’opérer des soustractions et des multiplications, de tracer des cercles et des triangles… S’il dit néanmoins que les mathématiques doivent nous donner normam veritatis, cela signifie simplement qu’il n’y a pas place en philosophie pour le choix et l’arbitraire, et que les vérités philosophiques ont ce même caractère de contrainte et s’imposent à nous avec la même nécessité que les vérités mathématiques. Le meilleur doit donc se soumettre au « vrai » ; or le « vrai » est du domaine exclusif de la raison. Sous ce rapport les vérités dites empiriques ne se distinguent nullement des vérités aprioriques ; elles aussi s’imposent à l’homme avec une nécessité inexorable. Évidemment, notre connaissance est encore rudimentaire, et cognitia intuitiva, tertium genus cognitionis n’apparaît que comme un idéal lointain ; mais cela ne réduit en rien les souverains droits de la connaissance scientifique… « en son achèvement idéal, elle apparaît comme la raison elle-même qui n’admet nulle autre autorité à côté ou au-dessus de soi ». Ces paroles appartiennent à Husserl, mais elles ne font en somme que traduire presque littéralement le fragment cité plus haut de la soixantième lettre de Spinoza.

Cela ne signifie-t-il pas que le « meilleur » est livré entièrement au pouvoir du « vrai » ? Hering ne s’en rend pas compte, et en toute sincérité, semble-t-il, il nous demande : « Pourquoi ne pas admettre tranquillement qu’en certaines circonstances le savant philosophe puisse trouver dans la révélation religieuse, dans l’expérience ou la tradition une nourriture pour son âme ? » En effet, pourquoi ne pas l’admettre ? Mais parce que cela équivaudrait à esquiver le problème fondamental. Je dirai une fois de plus que Husserl, le créateur de la phénoménologie basée sur les évidences, ne consentira en aucun cas au compromis proposé par Hering, car s’il l’acceptait, il renoncerait du même coup au problème qu’il s’est posé. Voici encore un passage