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eatenus Dei cognitionem necessario habet, sitque se in Deo esse et per Deum concipi » (Éth. V, Prop. XXX).

Mais d’autre part, Spinoza déclare dans sa soixante-seizième lettre en répondant à Burgh : « Ego non praesumo, me optimam invenisse philosophiam, sed veram me intelligere scio. Quo modo autem id sciam, si roges, respondebo, eodem modo ac tu scis tres angulos trianguli aequales esse duobus rectis ; et hoc suspicere negabit nemo, cui sanum est cerebrum. »

À première vue il semble que cette affirmation concorde parfaitement avec le sub specie aeternitatis et corresponde exactement à l’esprit de la philosophie spinoziste. Or il n’en est rien et l’on peut même dire que ces thèses se détruisent mutuellement. Dans sa lettre Spinoza déclare que sa philosophie n’est pas la meilleure, mais qu’elle est tout simplement la vraie philosophie. Et il sait qu’elle est vraie, de la même façon que son correspondant sait que la somme des angles d’un triangle est égale à deux droits. Le but de la philosophie consiste donc à chercher non pas le meilleur, mais le « vrai ». Et pour trouver la vérité philosophique, il faut s’adresser là où nous trouvons la solution du problème de la somme des angles d’un triangle. On trouve dans l’œuvre de Spinoza maints passages où cette pensée est exprimée avec la même clarté et la même rigueur. Toute tentative pour considérer l’homme et ses aspirations autrement qu’un simple fait parmi les autres faits naturels est repoussée avec mépris par Spinoza : « Imo hominem in Natura veluti imperium in imperio concipere videntur (Pars III ; début). Il parle des « Praejudiciae de bono et malo, merito et peccato, laude et vituperio, ordine et confusione, pulchritudine et deformitate et de aliis hujus generis » (I, Append.). Il dit que ces préjugés auraient à jamais caché aux hommes la vérité, « nisi Mathesis, quae non circa fines, sed tamen circa figurarum essentias et proprietates versatur, aliam veritatis normam hominibus ostendisset ». Et il assure que « De affectuum natura et viribus, ac mentis in eosdem potentia, eadem methodo agam, qua in praecedentibus de Deo et Mente egi, et humanas actiones alque appetitus considerabo perinde ac si quaestio de lineis, planis aut de corporibus esset ».

Mais comment concilier cette déclaration de Spinoza, que la philosophie doit prendre pour modèle les mathématiques, avec ses hymnes passionnées à la gloire du sub specie aeternitatis ? Je répon-