Page:Lévy-Bruhl - Revue philosophique de la France et de l’étranger, 103.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’eussions pas besoin du secours de l’écriture, mais que notre vie s’offrît si pure que la grâce de l’esprit remplaçât les livres dans nos âmes, et s’inscrivît en nos cœurs comme l’encre sur les livres. C’est pour avoir repoussé la grâce qu’il faut employer l’écrit qui est une seconde navigation[1]. » De plus, dans les conflits sur la nature de la Trinité, qui mettent aux prises d’une part Arius et ses partisans qui soutiennent que le Fils est une création du Père, d’autre part les orthodoxes, saint Athanase et les Cappadociens qui admettent la consubstantialité des personnes, il semble bien que la question posée est tout à fait étrangère à la philosophie : les mots génération, procession, employés par les Chrétiens pour désigner les rapports du Fils ou de l’Esprit au Père, ne gardent en aucune manière le sens précis qu’ils ont chez Platon et les platoniciens ; ce sens, s’il était conservé, impliquerait une doctrine telle que l’arianisme, puisque c’est un principe absolu du néoplatonisme que la réalité qui procède est inférieure à celle dont elle procède. Mais la croyance à la divinité de Jésus-Christ vient s’opposer à ce principe et commander un dogme qui n’a plus la moindre racine dans la spéculation philosophique.

En d’autres milieux, pourtant, l’on voit le platonisme avoir un succès beaucoup plus grand ; il surabonde par exemple dans le traité de l’évêque d’Émèse, Némésius (vers 400) Sur la nature de l’homme. Pas trace d’inspiration chrétienne en cet ouvrage où cet évêque traite avec la liberté d’un philosophe, la question de l’union de l’âme et du corps, en se demandant comment deux réalités ainsi distinctes peuvent former un seul être ; toute sa sympathie va à une doctrine qu’il donne comme celle d’Ammonius Saccas, maître de Plotin, qui, en tout cas, ressemble beaucoup à celle de Plotin lui-même ; cette doctrine compare l’âme à une lumière intelligible en laquelle baigne le corps ; on voit assez qu’elle suppose l’origine divine de l’âme, c’est-à-dire une des thèses qui ont le plus éloigné les chrétiens de l’hellénisme[2].

Si l’on veut connaître les rapports des chrétiens instruits et des philosophes dans les milieux orientaux d’Égypte et d’Asie Mineure, vers le ve siècle, il faut lire le curieux dialogue d’Énée de Gaza (vers 500), Théophraste, où l’on voit un philosophe païen, Théophraste,

  1. Commentaire sur saint Mathieu, début.
  2. Patrologie grecque, de Migne, t. XL, p. 592.