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le Christ et la philosophie grecque ; ils sont inconciliables surtout parce qu’ils n’arrêtent pas la divinité au même point de la hiérarchie des êtres ; pour Platon et les stoïciens, la réalité divine s’étend jusqu’aux âmes, aux astres et au monde qui sont des êtres divins ; les Chrétiens la restreignent à la seule Trinité. Or, dans un développement contre le caractère divin des âmes, Arnobe (converti en 297) s’en prend à Platon et à son hypothèse de la réminiscence qui implique que les âmes sont des êtres divins déchus, au-dessous des dieux et des démons. Comment est-ce possible, demande-t-il, puisqu’il y a des races entières qui sont ignorantes ; puisque, dans les sciences, les hommes ont des opinions multiples et opposées ; puisque, enfin, le fameux interrogatoire du Ménon ne serait vraiment probant que s’il s’adressait à un être humain, élevé au fond d’une caverne close à l’abri de toute expérience et qui n’aurait pas, comme l’esclave du Ménon, l’usage quotidien des nombres ? Si d’ailleurs elle oublie en entrant dans le corps, c’est qu’elle est susceptible de pâtir, par conséquent corruptible et périssable[1]. Argumentation dont le médiocre esprit d’Arnobe n’a peut-être pas saisi toute la portée, mais dont il résulte que le seul empirisme est d’accord avec l’orthodoxie. L’argument que Lactance (mort en 325) invoque contre la divinité des astres est encore plus instructif. « Ce que les Stoïciens font valoir en faveur de la divinité des êtres célestes, prouve le contraire car s’ils pensent qu’ils sont des dieux parce qu’ils ont un cours régulier et rationnel, ils se trompent bien ; et précisément parce qu’ils ne peuvent sortir des orbites prescrites, 11 apparaît qu’ils ne sont pas des dieux ; s’ils étaient des dieux, on les verrait se transporter çà et là comme des êtres animés sur la terre qui vont où ils veulent parce que leurs volontés sont libres[2]. » Esprit certainement nouveau, où l’ordre régulier seul ne suffit pas à prouver la divinité, selon qui, inversement, comme on le voit au livre IV, Dieu se manifeste par des décisions imprévues en inspirant des prophètes et en envoyant son fils sur la terre.

Ce qui est atteint par ces remarques, provenant d’hommes moins amis des philosophes que les chrétiens de culture grecque, c’est l’idée d’une hiérarchie d’êtres divins naissant les uns des autres et comprenant tout ce qu’il y a de réalité véritable ; le concile de

  1. Contre les Gentils, liv. II, chap. xix.
  2. Institution divine, II, chap. v.