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et les autres écoles prétendaient faire ; car en affectant de limiter le philosophe à l’art des conseils pratiques de détail, Clément veut la remplacer comme science des principes (chap. xi).

La vérité, c’est que le christianisme tout entier est coulé par lui dans le moule de l’enseignement philosophique grec et particulièrement de celui qui jusqu’au iie siècle fut le seul complètement organisé, de l’enseignement stoïcien. « Dès que le Verbe lui-même, dit-il, est venu des cieux jusqu’à nous, il n’est plus nécessaire d’aller à l’enseignement des hommes[1]. » Mais l’enseignement divin qu’on y substitue garde même forme que cet enseignement humain. Lorsque Clément nous dit que la foi (πίστις), tant calomniée par les Grecs, est la voie de la sagesse, il s’écarte des Grecs moins qu’on ne pourrait croire ; il définit la foi, comme les stoïciens, un assentiment volontaire, un assentiment à un terme fixe et solide, assentiment qui est le prélude de la vie chrétienne, comme il est chez les stoïciens, le prélude de la sagesse. L’objet véritable de la foi, dit-il encore, « c’est non pas la philosophie des sectes, mais la gnose, à savoir la démonstration scientifique des choses, transmises dans la vraie philosophie, c’est-à-dire dans le christianisme[2]. » Et, si l’on en vient à quelques détails de son enseignement, l’on s’aperçoit que le Pédagogue tout entier est construit comme un traité de morale stoïcienne ; le premier livre contient le critère de l’action droite, à savoir la droite raison, identique au Verbe ; et il faut y noter le chapitre viii, où Clément, songeant évidemment aux gnostiques, démontre par une argumentation de forme toute stoïcienne que la justice est identique à la bonté, passant par un raisonnement composé de l’amour de Dieu pour les hommes à sa justice. Quant aux deuxième et troisième livres, c’est une diatribe à la Musonius s’attachant à prescrire aux Chrétiens une vie simple et modeste ; tout le stoïcisme mélangé de cynisme, que nous connaissons, passe là dans l’enseignement chrétien ; au paradoxe « seul le sage est riche, il substitue seulement « seul, le Chrétien est riche ».

S’agit-il même de la méthode dans la connaissance de Dieu, Clément n’hésite pas à emprunter tout ce qu’il en dit à l’enseignement pythagoricien ou platonicien d’alors, montrant par quelle suite

  1. Protreptique, chap. ix.
  2. Stromates, liv. II, 2.