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III. — Les Apologistes du iie siècle.


Les apologistes de l’époque des Antonins, Justin, dont il reste deux Apologies l’une adressée à Antonin le Pieux (138-161) et l’autre à Marc-Aurèle (161-180), Tatien, qui peu après lui écrit un Discours aux Gentils, Athénagore qui adresse son apologie à la fois à Marc-Aurèle et à son fils Commode, ont sauf Tatien une évidente préoccupation ; c’est, pour faire accepter la nouvelle religion, d’y faire ressortir ce qu’elle a de commun avec la pensée grecque, ce qui peut en accentuer le caractère universel et humain, ce qui peut en un mot la rendre agréable aux païens. D’où l’attitude à la fois sympathique et réservée d’un Justin envers la philosophie grecque, en particulier envers Platon qu’il déclare supérieur aux stoïciens dans la connaissance de Dieu, tandis que les stoïciens lui sont supérieurs en morale.

En identifiant Jésus au Logos ou au Verbe, en qui Dieu a créé l’univers, l’auteur du célèbre prologue du Quatrième Évangile a introduit la théologie dans le christianisme : la théologie c’est-à-dire la préoccupation de la réalité divine ou suprasensible prise en elle-même, et non plus dans son rapport à la vie religieuse de l’homme. La prétention de Justin est d’arriver d’emblée, grâce au Christ, au Verbe de Dieu et à l’intelligible que les philosophes n’ont fait que pressentir obscurément[1]. Mais pour que ces pressentiments soient possibles, il est conduit à admettre que Dieu qui s’est révélé à Moïse et dans l’évangile, s’est aussi révélé partiellement aux philosophes et surtout à Socrate et à Platon ; il y a un Verbe unique ou Logos de Dieu, dont la révélation plus ou moins complète produit chez tous les hommes ces notions innées du bien et du mal, cette notion universelle de Dieu, dont la plupart des hommes, tout en les possédant, ne savent pas d’ailleurs faire usage raison universelle, révélation des prophètes, verbe incarné ne sont que les degrés différents d’une même révélation ; la raison n’est qu’une révélation partielle et dispersée ; « chaque philosophe, voyant d’une parcelle du Verbe divin ce qui est lui est apparenté, a des formules très belles[2]. » Avec cette thèse de la révélation partielle

  1. Harnack, Dogmengeschichte, vol. I, p. 467 et 470.
  2. IIe Apologie, chap. xiii.