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Saint Paul est un hellène d’éducation et, soit influence directe, soit action diffuse de doctrines partout répandues, on trouve chez lui nombre d’idées, de manières de penser, d’expressions familières à Sénèque et surtout à Épictète. Le christianisme comme le stoïcisme est cosmopolite ; et il ne connaît qu’une vertu commune à tous les êtres raisonnables. « Point de Juif, ni de Grec, d’esclave ni d’homme libre, de sexe masculin ou féminin ; tous vous êtes un en Jésus-Christ. » Comme la diatribe stoïcienne, saint Paul prêche la parfaite indifférence, au point de vue du salut, de la condition sociale dans laquelle on vit[1].

Le sentiment que l’apôtre des Gentils ou même les évangélistes ont de leur rôle et des devoirs qui leur incombent est le même que chez Épictète[2] ; on sait quelle haute idée celui-ci se faisait de sa mission morale « s’y donnant de toute son âme » et se considérant comme un soldat, ainsi que saint Paul, « bon soldat du Christ ». La source de sa force est chez Épictète comme chez saint Paul, la confiance en Dieu ; l’un et l’autre savent qu’ils peuvent tout grâce au Dieu qui leur donne sa puissance. Cette assurance en la raison qui juge et comprend toute chose, vient de ce qu’elle nous a été donnée par Dieu ; c’est ainsi que chez saint Paul, « l’homme spirituel juge tout et n’est jugé par personne. » Comme le cynique dont Épictète trace le portrait idéal, l’apôtre est un envoyé de Dieu sur la terre[3].

De cette foi en Dieu provient chez l’un comme chez l’autre le calme en toutes circonstances, puisque tous les événements résultent de la bonté de Dieu.

Comme le prédicateur stoïcien, l’annonciateur de l’évangile ne trouvait souvent que raillerie chez les gens du monde. On connaît le vieillard aux bagues d’or qui, chez Épictète, conseille le jeune homme : « il faut philosopher, mais il faut aussi avoir de la cervelle ; et ces choses sont folles[4]. » De même, saint Paul sait bien que le christianisme est « folie » aux yeux de l’homme psychique, qui ne peut connaître ce que juge l’homme spirituel. C’est précisément

  1. Épitre aux Galates, 3, 23 ; Aux Corinthiens, I, 7, 17-40.
  2. Comparer Épictète, Dissertations, II, 2, 12 ; III, 24, 31 et Saint Paul, Aux Corinthiens, I, 9, 7.
  3. Comparer Épictète, I, 6, 37 et I, 1, 4 et 7 avec saint Paul, Aux Philippiens, 5, 13 ; Aux Corinthiens, I, 2, 15.
  4. Épictète, I, 22, 18. Saint Paul, Aux Corinthiens, I, 1, 27 ; 3, 18.