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présentent à la fois sous la forme humaine et sous une forme animale. D’où provient ce trait si répandu et si surprenant pour nous ? Comment s’explique la dualité de nature chez ces êtres mythiques doués de pouvoirs extraordinaires ?

Sans doute, au nombre de ces pouvoirs, se trouve la faculté de se transformer ad libitum, et ils ne se font pas faute d’en user. Rien ne leur est plus aisé que de prendre, quand ils le jugent bon, la forme d’un animal ou d’un objet quelconque. Reste cependant à savoir pourquoi, toute transformation mise à part, tel ancêtre est, de par sa nature, un homme-kangourou, tel autre un homme-grenouille, un homme-canard, un homme-chat sauvage, etc. ; pourquoi, dans les mythes des Marind-anim, tel Dema est un cocotier, tel autre un crocodile, ou un rocher, etc. Le problème est double, ou du moins peut être examiné sous deux aspects différents 1o Quelle est l’idée des animaux et des plantes qui se trouve impliquée dans cette représentation des ancêtres et des héros mythiques ? 2o En quoi consiste la dualité de nature (humaine et animale) d’un seul et même personnage ?

(My. P., pages 45-46.)

Idées primitives sur les animaux.

Cette idée comprend d’abord des éléments objectifs, acquis par une expérience millénaire. Les Australiens, par exemple, pour se rendre maîtres des animaux dont ils se nourrissent, kangourous, émous, opossums, rats, oiseaux, poissons, etc., avec le peu d’instruments et d’armes dont ils disposent, ont eu besoin d’être renseignés très exactement sur leur habitat, leurs mœurs, leurs migrations saisonnières et, d’une façon générale, toute leur façon de vivre. C’est souvent pour eux une question de vie ou de mort. Ils y appliquent une patience d’observation, une finesse de discernement, une mémoire parfois prodigieuses.

(My. P., page 49.)

Ces Australiens, comme presque tous les primitifs, diront de tel ou tel animal qu’il sait et qu’il peut plus que les