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ils portent le nom qu’un homme de l’Alcheringa appartenant, par exemple, au totem du kangourou, peut parfois être appelé soit homme-kangourou, soit kangourou-homme. L’identité de l’individu humain est souvent fondue dans celle de l’animal ou de la plante en qui l’on suppose qu’il a son origine.

« Quand nous remontons à ces temps si reculés, nous nous trouvons au milieu d’êtres semi-humains, doués de pouvoirs que n’ont plus leurs descendants qui vivent aujourd’hui[1]. »

(A. P., page 47.)

Deux sortes d’ancêtres.

Une fois la période mythique ainsi bien distinguée d’une antiquité historique, il devient facile d’écarter une équivoque à laquelle on ne prend pas toujours garde.

Le mot « ancêtre » est souvent employé indifféremment pour désigner, soit les êtres mythiques de qui un groupe humain tire son origine, soit les ascendants, les aïeux de la génération présente. Or, on voit aisément qu’il n’a pas une même signification dans les deux cas.

Les ancêtres ou aïeux qui tiennent une si grande place dans les préoccupations de tant de tribus plus ou moins primitives, telles que les Zuñi, par exemple, ou beaucoup de Bantou, ont été des humains pareils à leurs descendants. Ils sont nés, ils ont vécu comme eux. Ils sont morts comme mourront les vivants d’aujourd’hui. Il en est dont on se rappelle la personne, le caractère, les hauts faits. Ceux mêmes dont le souvenir s’est effacé, on prend bien soin qu’ils ne puissent se sentir oubliés dans les cérémonies et les sacrifices. Car la génération présente sait que son bien-être et sa vie, d’un certain point de vue, dépendent de leur bon vouloir. Leur déplaisir peut entraîner les pires calamités ; les maladies feront rage, les femmes seront stériles, la pluie refusera de tomber, etc. On fera donc tout ce qu’il faut pour les contenter. On n’aura garde de négliger les offrandes et les sacrifices auxquels ils ont droit.

Les ancêtres dont parlent les mythes se distinguent nette-

  1. Spencer and Gillen, The native tribes of Central Australia, pp. 119-120.