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rigoureux, comme l’impliquent les représentations des primitifs. Le monde mythique ignore même cette fixité relative. Sa fluidité consiste précisément en ceci, que les formes spécifiques des plantes et des animaux y sont aussi peu stables que les lois des phénomènes. À tout moment, n’importe quoi peut arriver. De même, tout être vivant peut à chaque instant revêtir une nouvelle forme quelconque, soit par l’effet de son propre pouvoir, soit sous l’action d’un Dema. Tout dépend des forces mystiques en jeu, et ne dépend que d’elles.

Ainsi, dans le monde de l’expérience ordinaire, pour faire d’un petit enfant un homme, il faut, des années durant, des soins de toutes sortes. Une longue éducation physique et morale est indispensable. Mais, dans les mythes, les enfants prodiges brûlent les étapes. Tandis que les femmes indigènes allaitent leurs bébés pendant au moins deux ou trois ans, nous voyons souvent, dans les mythes, qu’un enfant, à peine né, n’a déjà plus besoin de prendre le sein. En quelques jours, il marche, il parle, il se fabrique des armes. Bientôt il a la force d’un adulte, et personne ne peut lui résister. Même rapidité merveilleuse dans la croissance des animaux et des plantes mythiques. « Les palmiers se multipliaient sans arrêt, car les noix mûres germaient avec une vitesse extraordinaire, et en quelques heures il avait poussé un grand palmier[1]. »

(My. P., pages 36-37.)

Ancêtres semi-humains.

Aux yeux du primitif, l’homme et l’animal (pris au sens le plus large) sont donc, selon l’heureuse expression de M. W. E. Roth, « intimement interchangeables ». Le passage est aisé de là à des représentations d’un ordre particulier qui se rencontrent fréquemment dans ses mythes et ses légendes. Spencer et Gillen ont rendu célèbres celles des Arunta.

« Dans l’Alcheringa (époque mythique et légendaire), vivaient des ancêtres qui, dans l’esprit des indigènes, sont si intimement associés avec les animaux ou les plantes dont

  1. P. Wirz, Die Marind-anim von holländisch Süd-Neu-Guinea, II, 70.