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actuel, et les héros du monde mythique, ce n’est surprenant que pour des esprits orientés comme les nôtres. La mentalité primitive n’y voit pas de difficulté.

(My. P., pages 26-27.)

Sans jamais se lasser, les mythes tracent de cette période un tableau dont les traits sont à la fois uniformes et variés : d’une diversité inépuisable dans le détail, d’une constance presque parfaite pour l’essentiel. Partout les ancêtres, ou héros civilisateurs, sont, comme les Dema des Marind-anim, à la fois humains et animaux, ou humains et végétaux. Partout ils possèdent, avec beaucoup d’autres facultés, deux pouvoirs fondamentaux : celui de transformer à volonté soit eux-mêmes, soit ce qui les entoure, et celui de « produire », de « créer », d’ « inventer », de « fonder ». D’autre part, ce monde où ils ont « erré » (les mythes se plaisent à les suivre dans leurs pérégrinations) et « créé » était, comme eux, surnaturel. Êtres vivants et objets inanimés, — la mentalité primitive ne les sépare pas nettement comme la nôtre, — tout y était dema. La nature, à cette période mythique, était aussi « surnature ». Chaque fois que la récitation des mythes ou les cérémonies l’évoquent à leurs yeux, les primitifs se sentent en contact avec cette réalité supérieure, transcendante, et cependant familière.

(My. P., pages 33-34.)

Fluidité du monde mythique.

Il n’y a guère de mythes, relatifs à cette période, où les êtres et les objets les plus divers ne se transmuent instantanément les uns en les autres. Un ancêtre-Dema se change en un rocher, et demeure tel indéfiniment, un morceau de bois un peu allongé et étroit devient un crocodile, etc. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, une forme nouvelle s’est substituée à celle que l’on voyait. On a donné à cette propriété caractéristique du monde mythique le nom de « fluidité ». Il fait bien ressortir le contraste entre cette « surnature » et la nature actuelle, où les séquences de phénomènes sont régulières, même si le déterminisme n’en est pas