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CHAPITRE IV

LE MONDE DES MYTHES ET LE MONDE RÉEL

Les mythes primitifs.

Les mythes « primitifs » dont nous disposons sont, en général, incomplets et fragmentaires. Un petit nombre seulement de personnes, dans une tribu, en possède une connaissance étendue. Ce savoir est le privilège des hommes d’âge qui, après avoir passé par les stades successifs de l’initiation, se sont mariés et ont des enfants. Chacun d’eux en connaît un plus ou moins grand nombre. Mais souvent il n’en sait ni le commencement ni la fin. Ou bien des parties importantes lui en manquent. Il est rare que d’un seul informateur on puisse obtenir un mythe en entier.

De plus, les mythes d’une tribu donnée, sauf exception, ne forment guère un ensemble. On a souvent remarqué qu’ils restent extérieurs, et pour ainsi dire indifférents, les uns aux autres. La mythologie d’une tribu peut être d’une richesse inépuisable sans que rien paraisse la coordonner. M. Landtman a trouvé ce caractère très marqué dans celle des Papous de l’île Kiwai[1]. Ce n’est pas ce que nous aurions attendu. Toutefois, notre surprise provient sans doute de ce qui subsiste dans notre esprit, à notre insu, des spéculations de jadis sur la mythologie. Aux xviiie et xixe siècles,

  1. G. Landtman, The Kiwai Papuans of British New-Guinea, pp. 298-299 (1927).