Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le malade mourait. C’est pourquoi le plaignant demandait protection, affirmant qu’il n’avait pas frappé le malade, et que si son âme l’avait fait, pendant son sommeil, il n’en avait rien su, et n’en était pas responsable. Par aventure, c’était justement moi qui soignais le malade[1]. »

Il ressort de ce récit que l’homme accusé ne nie pas absolument l’acte qui lui est imputé ; il ne semble même pas mettre en doute la réalité de ce que son accusateur a vu en rêve. Il accorde qu’il a pu faire pendant son sommeil ce qu’on lui reproche ; il en rejette seulement la responsabilité sur son « âme ». Accusateur et accusé peuvent être tous deux de bonne foi. Ils admettent comme une chose qui va de soi que ce qui apparaît en rêve est réel, si difficile qu’il nous paraisse de l’accorder avec le reste de leur expérience.

(M. P., pages 101-103.)

Les rêves et les génies protecteurs.

La maladie, dans un grand nombre de cas, est un signe qui apprend à l’Indien que son génie tutélaire est offensé ou mécontent parce qu’un de ses désirs n’est pas satisfait, et qu’il menace de l’abandonner, ce qui le ferait mourir. Comment savoir quel est ce désir, ou ce qui pourrait apaiser le genius ? Lui seul peut le dire, et il le fait connaître par un songe, que l’on aura le devoir strict d’exécuter. Cette hypothèse s’impose d’autant plus que c’est toujours dans une vision ou dans un rêve, — soit qu’il se produise spontanément, soit qu’on le sollicite et qu’on le provoque, — que l’Indien a aperçu pour la première fois son génie protecteur. Il n’a pas d’autre moyen de le connaître. Il est donc tout disposé à croire que les rêves, ou du moins certains rêves, sont des communications à lui faites par son genius. Ce sera le procédé ordinaire de ses révélations, et l’on sait que les relations entre l’Indien et son totem individuel sont constantes. « Il doit l’honorer, suivre ses avis, mériter ses faveurs, mettre en lui toute sa confiance, et craindre les effets de son courroux s’il néglige de s’acquitter de ce qu’il lui doit. »

(M. P., page 122.)
  1. H. Ling Roth, Natives of Sarawak. Ibid.