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liaisons des représentations que sur celles des nôtres. En outre, les primitifs n’accordent pas créance à tous les rêves indistinctement. Certains songes sont véridiques, et d’autres non. Ainsi, les Dieri « distinguent entre ce qu’ils regardent comme une vision, et un simple rêve. Ce dernier est appelé apitcha, et on le prend pour une pure imagination[1]… »

(M. P., page 99.)

En Afrique Équatoriale, il arrive qu’un voyage fait en rêve compte pour un voyage réel. « Je retournai chez le chef, et je fus étonné de le trouver assis hors de sa case, vêtu à l’européenne. Il m’expliqua, que la nuit précédente, il avait rêvé qu’il en était Portugal, en Angleterre et dans quelques autres pays. C’est pourquoi, en se levant, il avait mis des habits européens, et dit à ses sujets qu’il arrivait des pays de l’homme blanc. Tous ceux qui venaient le voir, jeunes et vieux, devaient lui serrer la main pour le féliciter de son heureux retour[2]. » Au Gabon, un homme contre qui une ordalie a décidé, et qui ne conçoit pas que le résultat de l’épreuve puisse être faux, admet qu’il a pu commettre l’acte en rêve. « J’ai entendu un homme ainsi accusé répondre : « Je veux bien payer, parce que, en somme, j’ai bien pu tuer un tel en dormant ; mais, en conscience, je n’en sais rien. »

Un homme est même responsable de ce qu’un autre l’a vu faire dans un rêve. On imagine quelles complications peuvent naître de là. En voici quelques-unes des plus curieuses. « À Muka (Bornéo), je rencontrai Janela… Il me dit que la raison de sa venue était que sa fille allait être frappée d’une amende à Luai, parce que son mari avait rêvé qu’elle lui était infidèle. Janela avait emmené sa fille[3]. » À Bornéo encore, « un homme, raconte M. Grant, vint officiellement me demander protection. Voici de quoi il s’agissait. Un autre homme du même village avait rêvé que le plaignant avait frappé d’un coup de lance son beau-père, qui était malade dans sa maison. Persuadé de la réalité de son rêve, il avait menacé le plaignant de se venger, si

  1. A. W. Howitt, The native tribes of South East Australia, p. 358 (1904).
  2. F. S. Arnot, Bihé and Garenganze, p. 67.
  3. H. Ling Roth, Natives of Sarawak, I, p. 232.