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tement sur elles par le moyen de charmes. Un exemple se présente tout de suite à l’esprit. Il est universel. Nous ne connaissons guère de société, plus ou moins primitive, où l’on ne fasse usage de charmes et de philtres d’amour. Ces charmes exercent, de près ou de loin, une action magique sur la personne dont on veut se faire aimer — le plus souvent par l’intermédiaire d’une de ses appartenances. Ils transforment les dispositions. À l’indifférence ou au mépris succède l’inclination et la faveur. La personne sur qui le charme d’amour a opéré n’est plus capable de résistance.

Chez les Arunta, « la femme, dit Sir Baldwin Spencer, est « charmée » par un homme qui s’en va secrètement dans la brousse, et y fait tournoyer un des petits bull-roarers appelés namatwinna… Le son en est porté magiquement à ses oreilles, et aux siennes seulement. Elle devient ce que l’on appelle okunjepunna, c’est-à-dire, elle s’engoue follement de cet homme. Tôt ou tard elle le rejoint[1]. »

(S. N., pages 71-72.)

Action physique sur les dispositions.

« Un cacique de Collimallin, un peu au nord de Temuco, saisit la peau d’un jeune garçon du côté du cœur, la tira vers lui, et ensuite y fit une petite incision avec une lancette. Le sang fut reçu sur un plat de bois ; une femme courut le porter dehors et le jeta à la rivière. L’auteur demanda à un medicine-man ce que signifiait cette opération. Celui-ci répondit que, comme le jeune homme était déshonnête et rebelle, on lui retirait le mal de son cœur, et on le donnait à la rivière pour qu’elle l’emportât[2]. »

De tous ces faits il ressort que, selon les primitifs, il est possible de provoquer, supprimer, modifier, transformer les dispositions d’un homme, en agissant sur elles d’une façon immédiate et physique, sans passer par la conscience du sujet, dont elles ne semblent pas dépendre nécessairement.

(S. N., page 78.)
  1. Sir Baldwin Spencer, Wanderings in wild Australia, p. 303.
  2. T. Guevara, La mentalidad araucana, p. 163.