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habits dont il lui fait présent. Il ne court pas risque d’être contaminé.

(S. N., pages 63-67.)

Les poisons choisissent leurs victimes.

Cette sorte d’action élective des dispositions qui, dans certains cas, choisissent pour ainsi dire leur victime, rappelle celle des charmes et des poisons qui, dociles aux ordres du sorcier, ne font de mal qu’à la personne désignée par lui. C’est là une croyance très répandue. Par exemple, « à Patiko (Soudan anglo-égyptien), on m’assura que parfois les gens mouraient à la suite d’un contact avec un logaga (piège empoisonné placé à l’entrée d’un village). On admet que seule la personne à la santé ou à la vie de qui on en veut, a quelque chose à craindre de sa virulence… Dans le cas d’un grand chef nommé Awin, qui mourut d’une façon mystérieuse dans notre voisinage, à Patiko, on croit que la dose fatale lui fut administrée par le moyen d’une volaille. D’autres en mangèrent en même temps que ce chef. Il n’y avait, semble-t-il, aucun doute que la volaille eût été envoyée par un ennemi d’Awin. Mais nous n’avons jamais éclairci le mystère de cet empoisonnement[1]. » Pour la mentalité primitive, il n’y a pas là de mystère. L’ennemi du chef n’avait pas de raison de faire mourir les autres convives. Il a « voulu » que le poison dont la volaille était chargée agît sur Awin, et sur lui seulement. Le poison lui a obéi. Rien de plus simple, pour un primitif, que ce choix, pour nous inexplicable.

(S. N., page 69.)

Les primitifs et les dispositions des êtres.

Les êtres inanimés, fleuves, rochers, montagnes, les ouvrages de l’homme, maisons, armes, instruments, etc., peuvent, comme les êtres vivants, exercer une influence, bonne ou mauvaise, sur le sort ou sur le succès de ceux qui les approchent ou qui s’en servent. Étant donnée l’homo-

  1. Rev. A. L. Kitching, On the backwaters of the Nile, pp. 242-243.