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un peu surpris, leur empressement à approuver ce qu’on leur dit.

Sans insister davantage sur ce trait bien connu, finissons par cet aveu candide recueilli chez les Bassoutos. « Un chef des environs me disait naïvement un jour : « Tu peux venir prêcher dans mon village aussi souvent qu’il te plaira ; nous ne nous moquerons jamais de tes paroles en ta présence, mais nous pourrons bien le faire une fois que tu seras parti. — Et vous avez grand tort, lui répondis-je. Je suis fatigué d’entendre vos éternels « tu as bien raison, ce que tu nous dis est la vérité, etc. », alors que je sais très bien qu’il n’y a là, de votre part, qu’une manière de politesse[1]. » Je dirais plutôt une précaution. Toute contradiction est le commencement, le signe, la cause d’un conflit, donc de sentiments violents, donc d’un danger. « Si un Européen discute avec eux, ils croient aussitôt qu’il est en colère[2]. » Or la colère, pour les raisons qu’on a vues, est génératrice de malheurs.

(S. N., pages 51-57.)

L’ermite de Tahiti.

Pour conclure sur ce point, une disposition, pour nous, est un état de conscience complexe, qui nous intéresse, dans la pratique, par les volitions et les actes qu’elle contribue à déterminer. Aux yeux des primitifs, les dispositions humaines sont bien en effet des faits de conscience que chacun connaît et nomme d’après son expérience personnelle ; irritation, colère, jalousie, désir, etc. Mais ce qu’ils y voient en même temps, ce à quoi leur attention s’attache, c’est la mauvaise influence que de telles dispositions exercent, du seul fait qu’elles se manifestent. Ils ne les situent donc pas, comme nous le faisons, principalement sur le plan psychologique. Ils les rangent au nombre de ces forces ou influences invisibles qui, tout en appartenant au monde surnaturel, interviennent continuellement dans le cours des événements du nôtre.

  1. Missions évangéliques, XLVII, pp. 9-10 (1872) (Germond).
  2. Granville and F. Roth, Notes on the Sekris, Sobos, and Ijos of the Warri district of the Niger Coast Protectorate. J. A. I. XXVIII, p. 109 (1889).