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formes de propitiation, de supplication, de prière, de contrainte magique, etc., dont les primitifs ne peuvent nulle part se passer.

(S. N., pages 41-42.)

Dispositions des arbres.

Un autre arbre, le mringa, qui ne se trouve que dans la zone cultivée par les Dschagga, demande, quand on va l’abattre, des adjurations spéciales. On l’appelle la sœur de celui qui en est propriétaire. Celui-ci ne peut pas prendre part à l’opération. Tout ce que l’on fait pour mettre l’arbre en valeur est présenté à celui-ci comme des préparatifs pour son mariage. Le jour qui précède l’abatage, le propriétaire se rend sous l’arbre avec des offrandes : lait, bière, miel, etc. « Mon enfant, qui vas me quitter, je te donne à un homme, qui va t’épouser, ma fille !… Ne crois pas que je te pousse par la violence à ce mariage, mais tu es adulte maintenant… Mon enfant, qui me quittes, que tout aille bien pour toi !… » Le lendemain, il s’absente, pour ne pas être obligé d’assister à l’abatage de l’arbre lorsque celui qui s’en est rendu acquéreur arrivera. À sa place, un maître de cérémonies a la charge de remettre l’arbre, sa sœur, à ceux qui viennent le chercher, exactement comme une fiancée est remise aux amis de son mari. Les rites accomplis, on commence à frapper l’arbre avec la hache. À ce moment, le chef de l’équipe dit : « Ô enfant d’un homme que tu vas quitter, nous ne t’abattons pas, nous t’épousons ! Et non pas de force, mais avec douceur et bonté… » Il termine par l’adjuration aux abeilles, comme dans le cas du msedi. Enfin, l’arbre est par terre. Pendant que les hommes sont occupés autour du géant abattu, son propriétaire arrive comme par hasard. Il s’effondre à ce spectacle ; il se lamente comme sur un forfait ; il est venu trop tard pour l’empêcher : « Vous m’avez volé ma sœur !… » Ces paroles, et beaucoup d’autres semblables, doivent persuader l’arbre de son ressentiment. Les autres font l’impossible pour le calmer. Ils lui représentent avec vivacité que tout finira pour le plus grand bien de sa sœur et de lui-même. À la fin, la paix se rétablit.

(A. P., pages 11-12.)