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tétanos[1]. » Tout se passe donc dans la région du mystique : amis et ennemis du blessé s’y meuvent également. Ce que nous appelons effet physique est aux yeux des Mélanésiens un effet magique. Pour mieux dire, nous distinguons entre les deux, ce qu’ils ne font pas. Selon nous, si la flèche est empoisonnée, c’est que sa pointe est enduite de produits toxiques. Selon les indigènes, elle n’est chargée que de mana, dont la puissance est telle qu’elle continue à agir de loin sur le blessé.

(M. P., pages 383-386.)

Les dispositions.

Parmi les puissances invisibles dont le primitif se préoccupe constamment, il n’oublie guère ce que j’appellerai les « dispositions » des êtres et des objets qui l’entourent. Quoi qu’il entreprenne ou qu’il éprouve, il se les représente rarement comme indifférentes. Selon qu’il les croit favorables ou non, ce qu’il imagine à ce sujet exerce une influence profonde sur ses émotions, et entre pour une grande part dans ses déterminations et ses actes.

Il voudra donc, en général, essayer de savoir quelles sont ces dispositions. Les rêves, les faits insolites, la divination sous ses formes si diverses, lui fournissent déjà à ce sujet des renseignements qu’il se garde de négliger. Mais il ne s’en tient pas là. Il ne s’agit pas seulement pour lui d’être informé, mais surtout d’être protégé et, s’il en est besoin, secouru. Il cherche à tourner ces dispositions dans le sens qui lui sera le plus avantageux. C’est à quoi servent déjà… les amulettes, les talismans, les charmes, etc., et la précaution de se joindre à ce qui est heureux et de fuir ce qui est malheureux. Toutefois, ces procédés généraux ne sauraient suffire. Il faut, en chaque cas particulier, découvrir et, au besoin, deviner les dispositions de tel ou tel être ou de tel ou tel objet, afin de régler sa conduite en conséquence. Il faut savoir ce qui risquerait de les rendre hostiles, et par quels moyens, si elles le sont en effet, on peut tenter de les modifier. Un champ indéfini s’ouvre ainsi aux inquiétudes et aux espérances et, dans la pratique, aux innombrables

  1. R. H. Codrington, The Melanesians, pp. 308-310.