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L’idée primitive du temps.

C’est parce que ces phénomènes se disposent pour nous — sans que nous ayons à y réfléchir — en séries irréversibles, avec des intervalles déterminés et mesurables ; c’est parce que les effets et les causes nous apparaissent comme rangés dans l’espace ambiant, que le temps nous semble aussi être un quantum homogène, divisible en parties identiques entre elles, et qui se succèdent avec une parfaite régularité. Mais pour des esprits à qui ces séries régulières de phénomènes dans l’espace sont indifférentes, et qui ne prêtent nulle attention, du moins réfléchie, à la succession irréversible des causes et des effets, quelle est la représentation du temps ? Faute de support, elle ne peut qu’être indistincte et mal définie. Elle se rapproche plutôt d’un sentiment subjectif de la durée, non sans quelque analogie avec celui qui a été décrit par M. Bergson. Elle est à peine une représentation.

L’idée que nous avons du temps nous paraît appartenir par nature à l’esprit humain. Mais c’est là une illusion. Cette idée n’existe guère pour la mentalité primitive…

(M. P., pages 89-90.)

L’espace des primitifs.

L’espace que nous nous représentons comme parfaitement homogène — non pas seulement l’espace des géomètres, mais l’espace impliqué dans nos représentations courantes, nous apparaît comme une toile de fond, indifférente aux objets qui s’y dessinent. Que les phénomènes se produisent dans telle ou telle région de l’espace, au Nord ou au Midi, en haut ou en bas, à notre gauche ou à notre droite, cela, à nos yeux, n’intéresse en rien ces phénomènes eux-mêmes ; cela nous permet simplement de les situer et souvent de les mesurer. Mais une telle représentation de l’espace n’est possible que pour des esprits habitués à la considération des séries de causes secondes, qui en effet ne varient pas quelle que soit la région de l’espace où elles soient données. Supposons des