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les êtres et les objets. Or il y a un élément qui ne fait jamais défaut dans ces rapports. Sous des formes et à des degrés divers, tous impliquent une « participation » entre les êtres ou les objets liés dans une représentation collective. C’est pourquoi, faute d’un meilleur terme, j’appellerai loi de participation le principe propre de la mentalité « primitive » qui régit les liaisons et les préliaisons de ces représentations.

Il serait difficile de donner, dès à présent, un énoncé abstrait de cette loi. Pourtant, à défaut d’une formule satisfaisante, on peut tenter une approximation. Je dirais que, dans les représentations collectives de la mentalité primitive, les objets, les êtres, les phénomènes peuvent être, d’une façon incompréhensible pour nous, à la fois eux-mêmes et autre chose qu’eux-mêmes. D’une façon non moins incompréhensible, ils émettent et ils reçoivent des forces, des vertus, des qualités, des actions mystiques, qui se font sentir hors d’eux, sans cesser d’être où elles sont.

En d’autres termes, pour cette mentalité, l’opposition entre l’un et le plusieurs, le même et l’autre, etc., n’impose pas la nécessité d’affirmer l’un des termes si l’on nie l’autre, ou réciproquement. Elle n’a qu’un intérêt secondaire. Parfois, elle est aperçue ; souvent aussi, elle ne l’est pas. Souvent elle s’efface devant une communauté mystique d’essence entre des êtres qui cependant, pour notre pensée, ne sauraient être confondus sans absurdité. Par exemple, « les Trumai (tribu du nord du Brésil) disent qu’ils sont des animaux aquatiques. — Les Bororó (tribu voisine) se vantent d’être des araras (perroquets) rouges. » Cela ne signifie pas seulement qu’après leur mort ils deviennent des araras, ni non plus que les araras sont des Bororó métamorphosés, et doivent être traités comme tels. Il s’agit de bien autre chose. « Les Bororó, dit M. von den Steinen, qui ne voulait pas le croire, mais qui a dû se rendre à leurs affirmations formelles, les Bororó donnent froidement à entendre qu’ils sont actuellement des araras, exactement comme si une chenille disait qu’elle est un papillon[1]. » Ce n’est pas un nom qu’ils se donnent, ce n’est pas une parenté qu’ils proclament. Ce qu’ils veulent faire entendre, c’est une identité essentielle. Qu’ils soient tout à la fois les êtres

  1. K. von den Steinen, Unter den Naturvölkern Zentral-Brasiliens, pp. 305-306.