Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chez les primitifs, à cause du rôle si fréquent et si considérable que ces représentations émotionnelles jouent dans leur vie, elle se retrouve aussi, quoique moins apparente, dans les autres sociétés. Là où le mode de pensée conceptuel s’est développé et imposé, les éléments intellectuels ont pris une place de plus en plus importante dans les représentations relatives au monde surnaturel. Une floraison de croyances est apparue alors, et souvent elle a fructifié en dogmes. Mais la catégorie affective du surnaturel subsiste cependant. Le fond émotionnel de ces représentations n’est jamais entièrement éliminé. Recouvert, enveloppé, transformé, il reste toujours reconnaissable. Aucune religion ne l’a ignoré. Initium sapientiæ timor Domini.

(S. N., pages XXXIV-XXXVI.)

La loi de participation.

Ce que nous appelons expérience et consécution de phénomènes ne trouve pas, chez les primitifs, des esprits simplement prêts à les recevoir, et disposés à en subir passivement l’impression. Au contraire, ces esprits sont occupés d’avance par un grand nombre de représentations collectives, en vertu desquelles les objets, quels qu’ils soient, êtres vivants, objets inanimés, ou instruments sortis de la main de l’homme, ne se présentent à eux que chargés de propriétés mystiques. Par suite, indifférents le plus souvent aux rapports objectifs, ces esprits sont surtout attentifs à des liaisons mystiques actuelles ou virtuelles. Ces liaisons préformées ne tirent point leur origine de l’expérience présente, et contre elles l’expérience ne peut rien.

N’essayons donc plus de rendre compte de ces liaisons soit par la faiblesse d’esprit des primitifs, soit par l’association des idées, soit par un usage naïf du principe de causalité, soit par le sophisme post hoc, ergo propter hoc ; bref, de vouloir ramener leur activité mentale à une forme inférieure de la nôtre. Considérons plutôt ces liaisons en elles-mêmes, et cherchons si elles ne dépendent pas d’une loi générale, fondement commun de ces rapports mystiques que la mentalité des primitifs appréhende si souvent entre