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Pour se protéger et se défendre, ils possèdent des traditions transmises par les ancêtres. Leur confiance en elles paraît inébranlable. Ils ne cherchent pas plus loin, moins par paresse d’esprit que par respect religieux et par crainte du pire. En pareille matière, plus encore qu’en aucune autre, toute innovation pourrait être dangereuse. Ils n’oseraient s’y risquer. Il ne leur vient pas à l’esprit qu’une connaissance plus complète et plus exacte des conditions où s’exerce l’action des puissances invisibles leur suggérerait peut — être des méthodes de défense plus efficaces.

De là, dans la plupart de ces représentations, un vague qui d’abord déconcerte. Elles obsèdent souvent l’esprit du primitif ; au cours de la journée, elles ne quittent le premier plan de sa conscience que pour y reparaître bientôt. Parfois elles terrorisent ses nuits. Il craint de sortir de sa hutte quand il fait noir. Chaque fois qu’il va entreprendre, soit un voyage, soit une chasse, une guerre, une plantation, un mariage, etc., sa première pensée est pour ces puissances et ces influences, qui le feront réussir ou échouer. Et pourtant, si nous voulons déterminer avec quelque précision comment il se les définit, sous quels traits, avec quels attributs il les voit, en général nous n’y parvenons guère. Ces représentations, telles du moins que nous les saisissons, restent floues, indécises. Il ne semble pas qu’il ressente le besoin de s’en former de plus nettement dessinées.

(S. N., pages XVI-XVII.)

Représentations plus vécues que pensées.

Dans les sociétés du type le plus éloigné du nôtre que nous connaissions, les représentations collectives où s’exprime la mentalité du groupe ne sont pas toujours, à parler rigoureusement, des représentations… À ce stade, il faudrait… parler, plutôt que de représentations collectives, d’états mentaux collectifs, d’une intensité émotionnelle extrême, où la représentation est encore indifférenciée d’avec les mouvements et les actes qui rendent effective pour le groupe la communion où il tend. La participation est si réellement vécue qu’elle n’est pas encore proprement pensée.

On ne sera donc pas étonné que MM. Spencer et Gillen